L’économiste Amit Achameesing, fondateur de la New Economic Thinking Academy, ne passe pas par quatre chemins. Pour lui, le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, dispose d’une marge de manœuvre très limitée pour le Budget 2019-2020. Sauf s’il a négocié un soutien financier du gouvernement indien.
Lundi, le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, présentera le dernier Budget du présent mandat. Dans quelle conjoncture se tiendra cet exercice ?
Avant tout, ce Budget sera présenté dans une conjoncture pré-électorale et ainsi tout reste très incertain. À coup sûr, le Premier ministre et ministre des Finances essaiera de mettre toutes les chances de son côté pour séduire les électeurs. Malheureusement, la situation économique s’avère être difficile surtout avec la dette publique qui a atteint un niveau vertigineux. Le moins que je puisse souhaiter, c’est que Pravind Jugnauth agira en chef de gouvernement responsable.
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À vous entendre parler, l’économie ne se porte pas bien...
Effectivement. Et je vais vous dire que ce n’est pas uniquement la faute du présent gouvernement mais aussi la faute des autres qui l’ont précédé. Par exemple, la dette publique est une accumulation dans le temps et l’ancien gouvernement est tout aussi responsable de ce niveau d’endettement.
Au-delà de la dette publique, le taux de chômage tourne autour des 7 % pendant presque deux décennies. Le coefficient du GINI qui mesure l’inégalité économique a gagné presque quatre points depuis 2001. Aujourd’hui, les importations dépassent largement les exportations et la balance commerciale est au rouge. Au fait, tous les indicateurs sont au rouge sauf l’inflation qui est restée basse grâce au prix du pétrole qui est relativement stable sur le marché mondial.
Le Premier ministre et ministre des Finances n’a donc pas les coudées franches dans la préparation du Budget 2019-2020 ?
Le Premier ministre dispose d’une marge de manœuvre très limitée compte tenu du niveau de la dette publique. Mais je ne serai pas surpris qu’il se libère de cette contrainte grâce au soutien financier du gouvernement indien. Il a été en Inde récemment et il se peut qu’une fois encore Pravind Jugnauth ait abordé avec Narendra Modi le soutien de l’Inde à Maurice.
Donc, les personnes âgées peuvent toujours espérer que la pension de vieillesse soit nivelée au montant du salaire minimal, de Rs 6 210 à Rs 8 500 ?
Honnêtement avec tout le bien-être que je souhaite aux seniors, ce sera irresponsable vu la situation économique. La hausse de la pension de vieillesse est une dépense récurrente qui pèsera de tout son poids sur la dette publique à court et à long termes.
Comment peut-on booster la croissance économique pour qu'elle franchisse enfin la barre des 4 % ?
C’est une question très profonde. Je vais essayer d’être bref. D’abord, il faut faire un constat réel des problèmes économiques qui va sûrement nous démontrer l’urgence d’une philosophie économique équilibrée. Il nous faut un modèle économique mixte avec un rôle plus important du gouvernement. Le secteur privé n’investira jamais suffisamment dans les énergies renouvelables, dans le secteur informatique ou dans l’Intelligence Artificielle. Il est naturellement motivé par le désir d’engranger le maximum de gains dans un délai très court. À titre d’exemple, c’est pour cette raison qu’il s’engage à plein régime, même en excès, dans des projets immobiliers. C’est un fait incontestable que la construction et le métro n’assureront jamais une croissance forte et soutenue. Du côté du secteur financier, il faut encourager nos banques commerciales à donner des emprunts plus productifs. Je termine mon doctorat sur ce sujet et je vous en dirai plus bientôt. Il y a de « nouvelles » choses à faire pour booster la croissance et c’est dans cet esprit que j’ai fondé la New Economic Thinking Academy.
Que le Premier ministre ne fasse pas preuve de largesses car les conséquences peuvent être désastreuses"
Quelles devraient être les priorités de Pravind Jugnauth dans le Budget 2019-2020 ?
Dans les grandes lignes, il faut adopter des mesures radicales pour augmenter la croissance au-delà de la barre des 5 %. Pour cela, il faut trouver des solutions aux problèmes systémiques qui affectent tous les secteurs de notre économie. Il faut créer des modèles d’entreprises qui accélèreront surtout l’absorption de nouvelles technologies. Et ces modèles peuvent être implémentés intelligemment pour combattre le chômage et les inégalités économiques. Il est aussi bon de souligner qu’une croissance au-delà des 5 % augmentera le PIB et donc diminuera naturellement le pourcentage relatif de la dette publique. Mieux encore, les recettes de l’État augmenteront substantiellement et faciliteront le remboursement des dettes.
L'industrie cannière s’engouffre dans la mélasse. Est-ce le devoir de l'État de courir à sa rescousse ?
Je pense que oui. D’abord, il faut que le gouvernement assume son rôle et améliore les conditions de travail des artisans et ouvriers de l’industrie sucrière. Aussi, l’État a le devoir de revoir le Rent Seeking Behavior du Syndicat des sucres. Je pense qu’il faut assurer que la redistribution des gains du sucre se fasse équitablement. Et ensuite, il faut sérieusement réfléchir sur le rôle des planteurs dans le développement économique du pays. Dans cet esprit, l’État a un devoir de refonte de l’industrie cannière surtout avec l’urgence de produire des énergies renouvelables.
Comment le gouvernement peut-il renverser la tendance dans le secteur manufacturier qui semble être en crise ?
Le secteur manufacturier fait face à un problème au niveau mondial. Laissez-moi vous expliquer. La productivité manufacturière a augmenté de façon exponentielle mais la demande n’a pas suivi. Ce qui veut dire qu’il y a plus de destruction que de création d’emplois.
À Maurice, le secteur manufacturier ne contribue aujourd’hui qu’à 14 % du PIB alors que dans les années 1980/90, c’était à 25 %. On a aussi vécu une destruction constante de l’emploi dans ce secteur au cours des dernières décennies. Alors, il nous faut des mesures d’accompagnement pour protéger les emplois qui restent. Cela dit, il est possible de réinventer radicalement le secteur manufacturier. C’est ce qu’on peut appeler « a Hi-Tech manufacturing agenda with catching up and leapfrogging. »
Cela vous surprend-il que des nuages s'amoncellent dans le ciel du secteur du tourisme ?
Non. Je ne crois pas que notre modèle touristique ait évolué avec le temps. Les touristes sont aujourd’hui beaucoup plus écologiques, et rien qu’en regardant l’état de nos plages, je ne suis nullement surpris. Donc, la qualité de notre destination touristique a dégringolé. En sus, une bonne partie de la main-d’œuvre qualifiée a déserté les hôtels pour les bateaux de croisière où les salaires sont presque dix fois plus.
Avec une stratégie intelligente et une compétition accrue des destinations comme les Seychelles, c’est dans le cours naturel des choses que Maurice régresse.
Pour conclure, qu'attendez-vous de ce Budget ?
Sauf surprise, je n’attends pas à un Budget de réforme ou de rupture compte tenu de l’échéance électorale. J’espère quand même que le Premier ministre et ministre des Finances fasse preuve de retenu et non de largesses car les conséquences peuvent être désastreuses dans un avenir pas trop lointain.
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