Interview

Amar Deerpalsing : «Changer le nom de la SMEDA ne va rien changer»

Le président de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises (PME) affirme que plusieurs mesures annoncées pour booster ce secteur sont ‘du réchauffé’. Amar Deerpalsing estime qu’il faut plus d’engagements du gouvernement.

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« Pénétrer le marché est un souci majeur pour les entrepreneurs. Donc, je ne pense pas que l’objectif de 52% soit réalisable »

Les PME sont un vecteur important de l’économie, vu les mesures variées pour encourager l’entrepreneuriat dans le budget de Pravind Jugnauth. Votre analyse ?
Il y a beaucoup de répétitions. Des mesures annoncées dans le passé n’ont pas donné les résultats attendus.

Le gouvernement souhaite augmenter la contribution des PME au PIB de 40% à 52% d’ici 2026. Sommes-nous sur la bonne voie ?
Les gros soucis des Petites et Moyennes Entreprises (PME) n’ont pas été évoqués et résolus dans ce budget. L’accès aux finances, la vente des produits sur le marché ou le mode de consommation qui a évolué. Les grandes surfaces constituent pratiquement un cartel. Pénétrer le marché est un souci majeur pour les entrepreneurs. Donc, je ne pense pas que l’objectif de 52% soit réalisable.

N’est-il pas grand temps que nos PME innovent, sortent des sentiers battus des produits artisanaux et explorent d’autres avenues ?
Cela nécessite une réflexion. Le signal doit venir des autorités. Si elles soutiennent les PME, il n’y a aucune raison qu’elles ne fassent pas d’efforts. Les institutions telles que la National Institute for Cooperative Entrepreneurship (NICE), la Small and Medium Enterprise Development Authority (SMEDA) et la Development Bank of Mauritius (DBM) doivent être innovateurs et indiquer la voie (‘set the trend’). Les autorités ne peuvent encourager les entrepreneurs à produire des achards et s’attendre à plus de créativité et d’innovation. Il y avait la foire de la SMEDA. Je n’ai rien trouvé qui puisse inspirer les PME à être plus innovantes.

Il existe aussi le 10 year Master Plan qui a été présenté et Rs 100 millions pour sa mise en œuvre. Cela ne servira-t-il pas à mieux encadrer les PME ?
Il a fallu 15 mois pour élaborer ce plan qui a coûté près de Rs 5 millions. Dès le départ, je n’étais pas d’accord. Les ‘policy decision’ doivent émaner du gouvernement qui ne peut se dédouaner. Pourtant, pour l’ébauche de ce Masterplan, le gouvernement l’a sous-traité au secteur privé. Maurice compte plus de 100 000 PME qui emploient près de 300 000 personnes et contribuent à hauteur de 40% au Produit Intérieur brut. Le gouvernement veut injecter Rs 30 millions. Qu’est-ce que cette somme permettra-t-elle d’insuffler ? Ce plan est irréalisable, compte tenu des moyens alloués. Je reste sceptique. Si le gouvernement n’a pu élaborer ce plan, aura-t-il la capacité de le mettre en œuvre ?

Depuis toujours, les entrepreneurs déplorent les difficultés d’accès aux finances…
Il est toujours difficile de trouver du financement. Il n’y a pas de partage des risques ni du gouvernement ni des banques. Le même système a cours : les organismes de financement exigent une garantie immobilière pour accorder un prêt. Le gouvernement ne montre pas d’intérêt réel alors qu’il est le premier bénéficiaire du secteur. Plus les entreprises sont créées, plus il y a création d’emplois. Et l’État renfloue ses caisses à travers les contributions aux fonds de pension et les frais d’obtention des permis.

Comment les amendements à la Business Facilitation Act pourront-ils aider les PME?
Cette mesure est destinée essentiellement aux étrangers pas aux Mauriciens.

La création du one-stop shop, Mybiz, aide-t-elle vraiment les personnes souhaitant créer leur entreprise?
Il faut revoir le système tout entier. Une seule organisation doit pouvoir émettre les permis. À ce jour, il faut frapper à la porte de plusieurs institutions, même s’il y existe un ‘one-stop shop’. Les gens ne connaissent même pas les rouages pour devenir entrepreneurs !

Or, pour les étrangers, tout est plus simple : ils vont au Board of Investment qui se charge de toutes les formalités. Il y a deux poids deux mesures. Il faut alléger la lourdeur administrative. Si la ‘business facilitation’ était là, comme l’affirment certains, elle n’aurait pas dû être mentionnée. Les mesures annoncées récemment constituent une claque magistrale pour Mybiz. Pourquoi a-t-on dépensé autant d’argent, recruté autant de gens, loué un bâtiment, avant de constater que cela n’aide nullement les gens ?

« Les mesures annoncées récemment constituent une claque magistrale pour Mybiz »

Le ministre des Finances a annoncé la refonte de la SMEDA. Est-ce une bonne chose ?
Ce n’est pas une bonne chose en soi. Il ne peut y avoir une dispersion des soutiens accordés aux PME. La réforme ne peut se faire de manière isolée alors qu’il y existe d’autres entités. Le mieux serait de toutes les regrouper sous une seule ombrelle. Changer le nom de la SMEDA ne va rien changer. Prenons l’exemple de Mybiz : deux ans et demi après sa création et toujours aucun résultat. Concernant la banque des PME : on a mis deux banques boiteuses ensemble, ce qui résulte en une banque doublement boiteuse ! Rs 10 milliards devaient être utilisées, mais encore une fois : rien. Puis, les mesures annoncées sont débattues et votées dans l’auguste Assemblée nationale. Or, il semble que nos élus oublient ce qu’ils ont voté. Et quand une mesure est adoptée, il faut une allocation pour sa concrétisation. Ce n’est pas l’argent qui fait défaut, le gros problème reste l’implémentation des mesures.

Il y aura des espaces dédiés aux PME dans quatre marchés, ainsi qu’une SME E-Platform pour accroître leur visibilité. Est-ce suffisant pour booster ce secteur ?
Reste à voir si ces marchés seront vraiment construits. Quant à l’E-Plateform, on en parle depuis 2013-14. Toujours rien en 2017. Cela en dit long. Donc, comme je le disais, il y a beaucoup de mesures réchauffées. Et pour booster un secteur, il faut les moyens et l’ambition. Choses qu’il n’y a pas.

Le label ‘Made in Moris’ sera davantage valorisé. N’est-ce pas là une bonne initiative ?
Cela favorise seulement le secteur privé. Son élaboration a demandé du temps et de l’argent. Or, le gouvernement n’a aucun contrôle administratif sur ce label. Ce n’est pas à l’avantage des PME.

Le marché mauricien est petit, le gouvernement à travers des prêts à  taux préférentiel souhaite encourager les PME à se tourner vers l’exportation. Quel est votre avis ?
C’est juste une réduction de la taxation. C’est un non-sens. L’année dernière, on avait annoncé la ‘tax holiday’ et maintenant cette mesure. On ne peut annoncer une chose, puis une autre. C’est contre-productif.

Comment justement encourager plus de jeunes à se tourner vers l’entrepreneuriat, nos secteurs public et privé ne pouvant absorber le nombre de jeunes sur le marché du travail ?
Si une personne n’arrive pas à trouver du travail puisque ce ne sont que les meilleurs qui sont retenus, pensez-vous que ces gens puissent devenir entrepreneurs ? Seuls les meilleurs employés peuvent devenir les meilleurs employeurs.

 

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