Interview

Alan Ganoo : «Certains au gouvernement ont l’art de créer des crises»

Alan Ganoo

Le président du Mouvement Patriotique commente l’actualité politique. Alan Ganoo dit constater une sorte de détente dans les relations entre le MMM et le MSM. Il trouve que certains au pouvoir sont passés maîtres dans l’art de créer des crises.

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Êtes-vous choqué par la réclamation de Rs 19 millions faite par Me Kailash Trilochun à l’Icta ?
Cette question des honoraires d’avocats est une affaire complexe. Nos lois n’imposent pas de limite quand un avocat réclame ses fees. Mais dans ce cas précis, l’Information and Communication Technologies Authority (Icta) est une institution gouvernementale. Évidemment, il faut un contrôle des dépenses de l’institution, car c’est de l’argent des contribuables dont il est question. Même si un avocat réclame des honoraires élevés, l’Icta doit être prudente. Quant à Monsieur Trilochun, il aurait dû réaliser que ce qu’il réclamait était excessif. Cependant, tôt ou tard, l’Icta aurait eu des comptes à rendre. Il aurait dû prendre cela en considération en faisant ses réclamations. C’est un de mes collègues, il s’est fait un nom au barreau. S’il avait pris tout cela en ligne de compte, il n’aurait pas embarrassé, de cette façon, l’institution concernée et le gouvernement.

Les organismes parapublics devraient-ils établir un plafond des honoraires pour leurs conseils légaux ?
Je pense qu’il est grand temps. Il faut établir des procédures pour donner la chance à toutes les Chambers de représenter des organismes parapublics. Je crois aussi qu’il faut établir des paramètres en termes d’honoraires. Je le redis, c’est de l’argent public dont il s’agit.

Que pensez-vous de ceux qui favorisent les petits copains ?
Il ne faut pas qu’il y ait de privilégiés. Le cas de Me Trilochun doit être un eye opener. Il y a nécessité de jouer la carte de la transparence.

Pensez-vous que l’affaire des Rs 19 millions a érodé le feel good factor généré par le budget de Pravind Jugnauth ?
J’étais le premier à dire que le cas Trilochun est l’un des facteurs ayant entamé, voire dilapidé, le feel good factor que Pravind Jugnauth avait réussi à créer avec son budget. D’ailleurs, tout comme le Premier ministre, la population est aussi choquée par la somme payée à l’avocat Trilochun. Malgré tous les efforts de Pravind Jugnauth pour un budget acceptable, aujourd’hui, on parle moins du budget et davantage des scandales de ces dernières semaines.

Partagez-vous l’avis de Paul Bérenger, qui trouve que ce budget contient des éléments intéressants ?
Je pense qu’il faut être honnête et objectif. Le budget contient de bonnes propositions, surtout au niveau social. La question est de savoir s’il pourra donner un coup d’accélérateur à notre économie. J’en doute fort. Toutefois, tout est une question de mise en application. Si le gouvernement arrive à réaliser 50 % des propositions contenues dans ce budget, il renversera la vapeur et récupérera son capital sympathie. Or, je doute que ce soit possible. Aujourd’hui, le gouvernement a perdu de son énergie. Ce budget a bien commencé, puis a mal tourné. Maintenant c’est le cafouillage.

Paul Bérenger est critiqué pour son comportement jugé conciliant à l’égard de Pravind Jugnauth et certains membres du MSM. Partagez-vous l’opinion de Xavier-Luc Duval, qui lui demande de rendre son tablier de leader de l’opposition ?
Pas nécessairement. Je m’explique. Je ne suis pas sur la même longueur d’onde que Xavier-Luc Duval. Je crois que ce qu’a fait Paul Bérenger, c’est de highlight les points forts de ce budget. Il l’a aussi critiqué, mais de façon moins radicale, plus douce... C’est ce qui a provoqué les commentaires de Xavier-Luc Duval, qui essaie de tirer un capital politique de cette situation. Néanmoins, c’est vrai que le leader de l’opposition a été bref dans son discours. Je m’attendais moi-même à des commentaires plus élaborés, plus profonds et pertinents, vu la situation actuelle dans le pays. Surtout après les déclarations du Premier ministre, qui affirme qu’il était en minorité sur le dossier Heritage City et qui avoue que le budget de Vishnu Lutchmeenaraidoo était irréaliste. Dans un système westminstérien, c’est le chef du gouvernement qui doit tout assumer.

Vous étiez très proche de Bérenger avant les élections de 2014. Pensez-vous qu’il soit passé en mode séduction pour une éventuelle alliance avec le MSM ?
Il semble qu’il y ait un dégel dans les relations entre le MSM et le MMM. Que cache cela ? Je ne sais pas. Je note seulement un changement de langage entre les deux. L’avenir nous en dira plus.

Ou tout simplement tente-t-il de donner de l’espoir à son électorat ?
Si c’est le cas, ce n’est pas une mauvaise tactique. Tout parti doit constamment essayer de conserver son électorat. Il se peut que ce soit aussi une tactique du MSM pour calmer les ardeurs du MMM dans son rôle d’opposition. Le MSM a davantage à gagner en adoucissant le MMM.

Est-il dans l’intérêt du MSM et du PMSD de commencer à négocier d’éventuelles alliances, avec le MMM et PTr respectivement, dès maintenant ?
À Maurice, je pense que tous les partis politiques, une fois les élections générales passées, se concentrent sur les prochaines élections. Ils ne vivent pas dans le présent. Ils sont plus préoccupés par ce qui se passera après. Actuellement, nous avons une alliance hétéroclite au pouvoir, pas composés d’alliés naturels, mais d’alliés forcés. Cela en réaction à une autre alliance contre nature. Ce qui fait qu’il y a des secousses et des turbulences de temps à autre. En raison d’une situation politique floue, il est difficile de prévoir ce qui va se passer. Impossible de dire quels blocs s’affronteront ou qui sera le prochain Premier ministre.

Que pensez-vous de la déposition de Roshi Bhadain contre Gérard Sanspeur, le Special Advisor au ministère des Finances ?
Il m’est difficile de dire quelles sont les motivations de Roshi Bhadain. Je trouve, néanmoins, que ce qu’il a fait est grave. Consigner une déposition contre le Special Advisor de son chef hiérarchique, Pravind Jugnauth, le leader du MSM et ministre des Finances ! Certainement, il s’est senti blessé, surtout que le projet Heritage City avait été avalisé par le Conseil des ministres et figurait dans le discours du budget. En tant que démocrate, il aurait dû se fier à la décision du Cabinet et ranger ce projet dans un tiroir. Encore une fois, c’est un événement qui vient démontrer l’instabilité au sein du gouvernement.

Est-ce que cela indique qu’il y a un manque de leadership fort au sein de l’Alliance Lepep et du MSM en particulier ?
Ce qui est arrivé concernant le dossier Heritage City démontre que Pravind Jugnauth reprend le dessus. Il s’impose comme le leader du MSM. Et sir Anerood Jugnauth, qui est un vétéran de la politique, s’est plié à la décision de la majorité sans s’aliéner Roshi Bhadain. Il a réussi à calmer la situation.

Il semble qu’il y ait deux clans au sein du MSM…
Pas à ma connaissance. Mais c’est sûr qu’il y a un désaccord et une certaine méfiance entre les différents partenaires de l’alliance, qui se manifeste de façon très subtile. Il y a aussi un pôle d’influence, regroupant certains individus au sein du parti, qui abusent du système. Désormais, il appartient à Pravind Jugnauth d’homogénéiser cela. 

Certains parlent de démission ou de révocation du ministre de la Bonne gouvernance. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que tout le monde est à blâmer. Il ne fallait pas que ce projet arrive à un tel stade, pour ensuite faire marche arrière. Ce qui est triste, c’est que cela passe pour de l’amateurisme aux yeux de la communauté internationale. Alors même que nous ambitionnons à faire de Maurice un centre financier digne de ce nom ! Je crois que sir Anerood Jugnauth ne veut pas provoquer de nouveaux remous, car cela affaiblirait le gouvernement. Force est de constater que certains au sein du gouvernement sont passés maîtres dans l’art de créer des situations de crise.

 

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