Les abus sexuels touchant les enfants font toujours partie de l’actualité. Le point avec Vijay Ramanjooloo, psychologue, qui estime que plus l’abus est sévère et répété, plus le traumatisme est profond. Dossier.
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« Étant vulnérable et sans défense, un enfant est la victime par excellence. Et il ne pourra pas mettre de mots sur ce qui lui est arrivé. De plus, effacer complètement les traces de l’abus est impossible. Son comportement sera affecté parfois à vie », avance Vijay Ramanjooloo.
Comment aider un enfant victime d’inceste à retrouver confiance en soi et à retrouver l’estime de soi. Comment les parents peuvent-ils détecter les signes de sévices sexuels chez les enfants ?
Perte de l’estime, honte, crise d’angoisse, tempérament violent et agressif, perte d’appétit, perte de concentration et dégoût, entre autres, tels sont les sentiments qui s’installent après qu’une personne a été abusée. Par exemple, l’enfant refuse d’enlever ses vêtements dans certains lieux. Il est, parfois, fasciné par les contacts physiques ou le contraire. Il est sujet aux changements d’humeur. Il a des problèmes de concentration dans ses études.
« Les séquelles d’un abus sont plus grandes, si l’enfant est très jeune. Dans la grande majorité des cas, l’agresseur est une personne très proche de l’enfant. Or, ce dernier, qui idéalise ses parents et proches, leur fait confiance. Par conséquent, il est piégé entre la loyauté et la dénonciation », explique-t-il.
Il ajoute qu’il arrive parfois que l’enfant abusé peine à s’exprimer. « Quand le présumé pédophile abuse l’enfant, c’est contre la volonté de ce dernier. L’âme de l’enfant est également blessée », dit-il.
« La parole est un médicament. Il ne faut pas confondre son besoin de parler et notre besoin de tout savoir. Rassurez l’enfant avec la confiance, l’amour et la sécurité. Les parents peuvent prévenir leur enfant en lui disant que son corps est à lui et que personne n’a le droit de le toucher. Punir l’agresseur restaure la confiance en soi chez l’enfant », affirme-t-il.
De plus, un environnement aimant et sécurisé permettra à l’enfant de se rebâtir une confiance. « Aidez la victime à s’extérioriser à travers plusieurs moyens, dont l’art. Croyez-le, aidez-le à surmonter le choc, faites-le suivre par un psychologue », fait-il ressortir.
Pédostop
Pour Pédostop, le rôle des parents doit être d’aimer et d’assurer la sécurité de son enfant. Car les enfants se retrouvent souvent exposés à des dangers dans leur milieu familial et scolaire, fait observer Mélanie Vigier de Latour-Bérenger. « L’enfant est une proie dans le milieu censé le protéger. Dans plus de 90 % des cas, l’agresseur est un proche. L’enfant victime se terre souvent dans le silence, la honte, la peur et cela peut durer des années. Il faut protéger les enfants vulnérables », dit la porte-parole de Pédostop.
« Il est possible de protéger l’enfant. Il convient d’abord d’informer leurs parents et leurs éducateurs de la gravité des conséquences de toute forme de violence. Dès le plus jeune âge, il importe de les sensibiliser sur leur corps. Il est important d’écouter, d’observer le comportement de l’enfant et de le croire, s’il dénonce un abus subi. On doit l’entourer, s’assurer de son bien-être et de sa sécurité », poursuit-elle.
KDZM fait campagne
Sensibiliser les parents, les éducateurs et les travailleurs sociaux sur les droits de l’enfant. C’est l’objectif de la campagne du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM). Le collectif met l’accent sur le rôle éducatif des parents et des enseignants pour sensibiliser les enfants sur leurs droits et leur apprendre à se protéger contre les fléaux de la société.
La protection des droits de l’enfant, indique Angélique de La Hogue, de TIPA et membre du collectif, devrait être chaque jour l’une des préoccupations majeures du gouvernement. Car ce sont les enfants d’aujourd’hui qui sont l’avenir du pays.
« En assurant et en investissant dans la protection des droits des enfants, le pays investit dans le futur de l’île Maurice, que ce soit au niveau de sa croissance économique, sociale, médicale, culturelle et politique », affirme-t-elle.
Elle estime que trop d’enfants sont victimes des fléaux qui gagnent du terrain. Environ 6 000 nouvelles victimes sont signalées à la Child Development Unit (CDU) chaque année. Et ces chiffres sont au-dessous de la réalité, vu que les auteurs des abus sont, en général, issus du milieu familial et de l’entourage.
« La violence, qu’elle soit physique, psychologique, émotionnelle ou sexuelle, est souvent minimisée et banalisée. En outre, les familles et les institutions ont une grande méconnaissance de cette problématique. Il est primordial d’agir de manière concrète et profonde, d’où l’importance de la formation sur la violence et d’établir un Child Protection Protocol », énonce la présidente de TIPA.
Angélique de La Hogue : «La création d’un ‘Child Protection Protocol’ envisagé»
Angélique de La Hogue plaide en faveur d’une prise de conscience de la problématique de la violence pour identifier et comprendre les facteurs fragilisants chez l’enfant qui est en construction. « L’objectif est de détecter et de protéger les victimes. Pour cela, nous travaillons à développer des outils de prévention et d’intervention », souligne-t-elle.
La présidente de TIPA dénonce un manque criant de formation sur ce sujet et de structures adaptées pour accueillir les victimes, ainsi que leurs parents.
« Le Child Protection Protocol sera un manuel de procédures pour indiquer comment travailler avec des enfants dans le respect des droits de l’Enfant et comment réagir dans des situations problématiques précises ou dans des cas d’enfants en détresse. Ce document en préparation deviendra un engagement ou même un règlement pour les institutions signataires. On souhaite qu’à l’avenir, ce document ait une valeur légale », souligne Angélique de La Hogue.
Jean-Paul Mugnier : «Dans 90% des cas, l’auteur est une personne de l’entourage de l’enfant»
Jean-Paul Mugnier est un thérapeute familial et du couple. Il dirige, depuis plus de 20 ans, l’Institut d’études systémiques, à Paris. Sa formation initiale d’éducateur spécialisé le pousse à se sensibiliser sur les questions liées à la maltraitance et à s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour venir en aide aux enfants victimes de sévices ou de négligences et à leurs parents.
Formateur et superviseur, il intervient auprès de nombreuses équipes en France comme à l’étranger, notamment en Belgique, tant dans le champ médico-social que dans le domaine de la protection de l’enfance. Directeur des collections Psychothérapies créatives et Penser le monde de l’enfant, aux éditions Fabert, il est également l’auteur de nombreux essais et romans, parmi lesquels Les stratégies de l’indifférence, La promesse des enfants meurtris, Le silence des enfants et L’enfance meurtrie de Louis-Ferdinand Céline.
Quel est le profil type d’un pédophile ?
Contrairement aux idées reçues, l’acte pédophile ne vient pas forcément d’hommes ou de femmes qui sont attirés exclusivement par des enfants. La difficulté, c’est justement de toujours avoir en tête toutes les nuances et les catégories possibles de pédophiles. Il peut s’agir de personnes ayant une tout autre sexualité. Il y a aussi des hommes, qui ont une sexualité de type pédophile et sont attirés vers les enfants, mais qui ne sont jamais passés à l’acte. Il y a des hommes et des femmes qui, même quand ils font l’amour à un adulte consentant, pour se stimuler, pour éprouver une excitation, pourraient avoir des fantasmes de nature pédophile. Il y a ceux qui passent à l’acte et qui ne sont attirés que par les enfants. Il y a aussi ceux qui passent à l’acte pour se venger de ne pas être suffisamment aimé et apprécié par leur conjoint, par exemple. Ceux-là ne sont pas forcément pédophiles, parce qu’ils ne sont pas attirés par d’autres enfants.
Quels sont les facteurs à risque ?
J’ai rencontré des hommes qui avaient eu l’occasion d’avoir des rapports sexuels avec la fille de leur partenaire, âgée de 13 ans ou 14 ans, laquelle ne semblait pas s’opposer ou se révolter. Et ces hommes ne comprenaient pas en quoi c’était interdit, puisque ce n’est pas leur fille. Ils ne voient pas la dimension incestueuse, bien qu’elle soit réelle, parce que c’est la fille de leur femme, qui est leur partenaire sexuelle et relationnelle.
La promiscuité peut aussi être un facteur de risque supplémentaire. J’ai travaillé pendant plusieurs années à Madagascar. J’allais dans les bas quartiers, où les familles vivent à cinq, six, sept dans une case avec une seule pièce qui fait deux mètres carrés. Les couples avaient des rapports sexuels dans une partie de la pièce ou un simple rideau les cachait des enfants.
Cependant, à Madagascar, il y a des hommes et des femmes vivant comme cela sans qu’ils n’abusent de leurs enfants. Il faut aussi faire ressortir que la promiscuité est un facteur de risque, mais il n’y a, toutefois pas, passage à l’acte dans tous les cas.
À Maurice, on a tendance à penser que la pédophilie se produit dans un certain milieu uniquement. Il y a plus de facteurs de risque, certes, surtout quand on est inactif. Un homme ou une femme qui ne travaille pas ; tout le monde dort dans la même chambre. Ce sont des facteurs de risque supplémentaires.
Si vous avez la chance d’habiter dans un bel appartement, où il y a une chambre pour chacun, où on travaille, où il y a de l’argent, cela fait des facteurs de risque en moins. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’abus sexuel d’ordre pédophile. Je connais beaucoup de familles qui n’étaient pas des cas sociaux, mais d’un bon niveau d’instruction.
Quels sont les signes avant-coureurs chez les victimes ?
Il faut toujours être très prudent et savoir qu’il y a des nuances. Il faut aussi éviter de tirer des conclusions trop hâtives. Chez l’enfant, un des symptômes, c’est l’apparition brutale de comportement agressif, avec des terreurs nocturnes, des cauchemars. Il est perçu comme « méchant », il va mal dormir, se mettre à faire pipi au lit, entre autres.
Le fait que les symptômes apparaissent brutalement ne veut pas forcément dire abus sexuel, mais cela veut dire qu’il s’est passé quelque chose dans la vie de l’enfant, qui a occasionné un traumatisme, quelque chose d’incompréhensible, qui a porté atteinte à l’image que l’enfant a de lui-même.
Il y a toutefois, d’autres signes qui sont plus explicites. C’est quand un enfant de quatre ans ou de onze ans, par exemple, va avoir des comportements sexuels anormaux. C’est-à-dire qu’il va imiter la sexualité des adultes comme vouloir pratiquer une fellation à un autre enfant ou un adulte, ou faire un cunnilingus. Des enfants qui vont se masturber en s’exhibant à l’école ou encore ceux qui vont essayer de masturber les animaux.
Quand on est devant ce type de comportement, malheureusement, on ne peut qu’avoir la certitude que l’enfant a été victime d’une agression ou qu’il a été témoin d’un rapport sexuel. Généralement, cela indique que l’enfant a été agressé sexuellement par un adulte ou un plus grand que lui.
Ces symptômes révèlent l’existence d’un psycho trauma d’une agression sexuelle, mais cela ne dit pas qui en est l’auteur. Cela peut être un parent, un voisin, un enseignant ou encore un adolescent plus grand. Dans 90 % des cas, l’auteur est quelqu’un qui se trouve dans l’entourage de l’enfant.
Les victimes se confient-elles toujours ?
Il y a des symptômes qui sont à eux seuls révélateurs, tandis que dans d’autres cas, il faut laisser parler l’enfant. Certains enfants vont utiliser un langage codé pour faire passer ce message, du genre « je n’aime pas quand c’est papa qui vient me lire une histoire, car il veut toujours me chatouiller » ; « je ne veux pas rester tout seul avec papi parce qu’il veut toujours me montrer de drôles de choses ».
L’enfant ne dit pas tout parce qu’il a peur d’être puni, de ne pas être cru, il a peur que ça fasse des histoires. Ensuite, il y a des enfants plus petits qui vont le dire avec leurs propres mots, comme quand il décrit la nature du sperme en disant que « c’est du pipi blanc qui colle ». On a tendance à penser qu’un enfant ne sait pas ce qu’il dit, mais un tout petit enfant ne dit jamais n’importe quoi. Un enfant ne peut pas inventer de telles choses. Pour ce qui est des abus perpétrés par des femmes, l’enfant va dessiner avec beaucoup de détails, le sexe féminin, par exemple.
Comment reconnaître les symptômes chez les auteurs ?
Les principaux symptômes chez les auteurs sont la désocialisation ou l’isolement. Des hommes et des femmes qui ne vont plus sortir de chez eux, même pas pour aller travailler. Il y a ceux qui vont sombrer dans l’alcoolisme, parce qu’ils ont honte et parce qu’ils auront peur de sortir et de passer à l’acte sur d’autres enfants. L’agressivité est un autre symptôme. L’auteur peut devenir violent envers l’enfant qui a été abusé. Beaucoup d’auteurs tentent de se suicider. Ensuite, il y a un autre type de symptômes, mais qui ne se voit pas comme des symptômes. Ce sont des auteurs qui se font passer pour des saints.
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