Live News

1968-2018 : les paris fous qui ont réussi

Anerood Jugnauth et sir Seewoosagur Ramgoolam Anerood Jugnauth aux côtés de sir Seewoosagur Ramgoolam. Au cours de leurs mandats, les deux hommes ont mis en oeuvre plusieurs projets ambitieux. (Crédit photos

Nos dirigeants se sont toujours engagés dans des projets qui étaient loin d’être gagnés d’avance. L’annonce de chaque nouveau projet suscite généralement à Maurice plus de pessimisme que d'optimisme. Dans bien des cas, seul le temps a pu donner raison ou tort. Flashback.

Publicité
Gaëtan Duval et l’ambassadeur de France Raphael Touze entourant sir Seewoosagur Ramgoolam. La France a beaucoup œuvré pour la coalition entre le Ptr et le PMSD.

Des doutes autour de la Zone franche

Le décollage de ce secteur a eu lieu en 1983.

L’arrivée des usines sur le sol mauricien et qui a, conséquemment, mené à la création de la zone franche,  a été le pari personnel de sir Gaëtan Duval au sein du gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR). Un concept qui suscitait plusieurs doutes et appréhensions. Le Mouvement militant mauricien (MMM) a été l'un des plus fervents opposants à la zone franche.

Moorghesh Veerabadren, ancien président de la General Workers Federation (GWF), se souvient de ces années de lutte menées contre les patrons d’usines. D’où le slogan historique : ‘Zone franche, zone souffrance’. Le secteur de la zone franche représentait pour le MMM l’exploitation de la classe ouvrière par le gros capital. « à l’époque, il y avait une loi exclusive pour le secteur de la zone franche. Les salaires étaient dérisoires. C’était de l’esclavage moderne. »

Et ce n’est pas dans le camp des adversaires politiques que la zone franche ne faisait pas l’unanimité. Marcel Lindsay Noë, auteur du livre L’Enfant Terrible de Maurice, qui retrace le parcours de l’ancien leader du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), affirme que SSR avait aussi exprimé des réserves. « Nos filles sont habituées à travailler dans les champs. Elles sont des campagnardes. Elles ne se feront pas à la vie d’usine », raconte le livre. Mais SGD était un convaincu et a obtenu gain de cause.

C’est toutefois, en 1983, qu'on a pu témoigner du décollage du secteur. « En 1983, l’économie était à genoux », peut-on lire dans le même livre. C’est vers le Sud-Est asiatique que se tourne Maurice. SGD a réussi à convaincre bon nombre d’industriels du textile qui avaient accepté de délocaliser leurs opérations à Maurice. Après Hong Kong, c'était Singapour et Taïwan. Malgré les perpétuels affrontements entre autorités et syndicalistes, la zone franche connaît un véritable boom.

Catherine Hein, Senior Lucturer et consultante à Genève, qui a réalisé une étude sur le secteur, fait état de la progression. Entre 1971 et 1986, les chiffres d’exportation passent de
Rs 3,9 millions à Rs 4,9 milliards. Le nombre d’entreprises de la zone franche passe de 9 à 408. En outre, le nombre d’employés est passé de 644 à 74 015. « The overall picture emerging from these datas is clearly a success story », fait valoir Catherine Hein.

Cybercité d’ébène : la peur d'un éléphant blanc

Une ligne de crédit indienne de 100 millions de dollars aide le projet à décoller.

L’idée de la création d’une ville intelligente venait de lui, selon un entretien accordé par le professeur et scientifique Joël de Rosnay. Cela remonte à la fin du premier mandat de Navin Ramgoolam comme Premier ministre (1995-2000). Mais c’est en 2005 que sera inaugurée la Cybertour d’Ébène par Manmohan Singh, Premier ministre indien d’alors. C’est grâce à une ligne de crédit indienne de 100 millions de dollars que le gouvernement mauricien parvient à matérialiser un projet d’une telle envergure. Mais, comme c’est bien souvent le cas pour de nouveaux projets, les critiques ne manquaient pas. Chand Bhadain, ancien président du conseil d’administration de Business Parks of Mauritius Ltd (BPML) entre 2003 et 2007, se souvient encore de ces critiques. Mais c’est un commentaire émanant de Navin Ramgoolam, qui occupait le poste de leader de l’opposition, qui l’a surtout marqué.

« Je me souviens qu’il avait qualifié ce projet d’éléphant blanc. Les autres détracteurs avaient eux déjà condamné le projet en disant que les bureaux de la cybercité finiront par accueillir uniquement les bureaux des différents ministères. Mais l’histoire en a décidé autrement. Le projet a été un succès. Nous aurions fait face à une révolution des jeunes, si l'on n’avait pas créé la cybercité, car l’État n’était pas en mesure de recruter tous ces jeunes », souligne Chand Bhadain.

La création de l’UoM contestée

« This Assembly welcomes the intention of Government to establish a university on the lines of the recommendations made by Professor Colin Leys in his report. » Cette introduction du ministre de l’Éducation d’alors, sir Veerasamy Ringadoo, jetait les bases pour la création de l’Université de Maurice.

Nous sommes en 1964 et la création d’une université à Maurice faisait débat. Il faut dire qu’il s’agissait d’une deuxième tentative du gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) de créer la  toute première université du pays. La première tentative s’était soldée par un échec, après que le rapport du Dr Lockwood a, en 1962, déconseillé au gouvernement de réaliser ce projet, cela en raison des implications financières trop importantes que cela représenterait pour le pays.

Dans son intervention, le ministre de l’Éducation ne manquait pas de faire part de sa fierté de créer la toute première institution d’enseignement supérieur nationale du pays. « I think that the creation of this university comes at a certain time which is, indeed, one of the most important in the history of Mauritius », déclarait alors le ministre.

Sir Veerasamy Ringadoo parlait à l’époque d’un pari qui comprend des risques. « There are some risks which have to be taken. There is nothing which can be obtained without the development of the country, but no development can take place without the training of people who can start the development. »

La création de l’Université de Maurice (UoM) ne séduisait toutefois pas tous les parlementaires. Des députés, à l’instar de Robert Rey, qui est aussi intervenu sur le projet de loi, n’en était pas convaincu. « For building the nation’s pride, a University will be very good, but what will be the value of a diploma, of a degree outside ? » faisait-il part. Cet ancien député de Moka était d’avis qu’embarquer Maurice dans un tel projet n’en valait pas la peine, d’autant que la situation financière était précaire.

Malgré ces critiques émanant des rangs de l’opposition, l’UoM a bel et bien été créée et compte, aujourd’hui, 53 ans d’existence. Si l’établissement montre, par moments, certains signes d'essoufflement en raison de nouveaux défis tels que l’employabilité et  le mismatching qui planent sur le secteur de l’enseignement supérieur, Goolam Mohamedbhai, ancien vice-Chancelier de l’UoM, est sans équivoque : « Cela aurait été fatal pour Maurice, si l'on n’avait pas créé l’UoM. à l’époque, il y avait beaucoup de craintes qui avaient été émises concernant la viabilité financière d’un tel projet, mais je pense que le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam, avait eu le right frame of mind. » 

Et d'avancer que l’UoM a pu assurer la formation de milliers de personnes qui se sont mises au service du pays qui avait besoin d’une main-d’œuvre de qualité pour assurer le développement post-indépendant.

Metro Express : sera-t-il un pari gagnant ?

Un mode de transport alternatif va naître en 2019.

Ce projet de décongestion routière s’avère être le dernier pari en date. Au coût de Rs 18,8 milliards, le Metro Express devrait commencer à véhiculer les premiers passagers entre la ligne de Port-Louis et Rose-Hill à partir de 2019. Les contestations autour du projet sont une nouvelle fois tenaces. Le projet fait actuellement l'objet d'une série de critiques, tant sur le plan environnemental qu’économique.

Les écologistes déplorent que des espaces verts soient en train d’être sacrifiés, comme c’est actuellement le cas à la promenade Roland Armand, reliant les villes-soeurs. Sur le plan financier, certains prédisent le désastre, étant persuadés que le projet dépassera les Rs 18,8 milliards. Au niveau du gouvernement, ce projet s’avère être une nécessité pour transformer le visage du pays. Le Metro Express sera-t-il un pari gagnant ? La réponse à partir de 2019. Il faudra entre-temps prendre son mal en patience.

L’Indépendance : le pays en ébullition

Cérémonie de lever du drapeau en présence de SSR.

C’est à partir de 1959 que sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) commence à afficher ses ambitions d’une Maurice indépendante. Et ce malgré le faible soutien que lui accordent les autres membres de son parti. Seuls sir Harold Walter et sir Veerasamy Ringadoo se prononcent en faveur de l’Indépendance au sein de l’état-major des rouges. C’est le journal Advance qui annonce en premier ce changement de trajectoire de SSR concernant l’Indépendance, en publiant une dépêche de Reuters.

Avant 1959, SSR et le Ptr étaient en faveur de l’intégration de Maurice avec une grosse dose d’autonomie. Ce nouveau positionnement du Ptr n’était pas sans conséquence. La classe politique est  en ébullition et le Parti Mauricien ne tarde pas à donner la riposte et s’engage dans une campagne anti indépendantiste. Les réunions organisées par le Parti Mauricien mobilisent de plus en plus de Mauriciens, à tel point qu’en 1965, le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) accueille une foule d’environ 100 000 personnes à Curepipe alors que le Ptr ne réunit que la moitié à Saint-Jean. Le Ptr parviendra néanmoins à inverser la tendance car, deux ans plus tard au moment du vote, seuls 44 % de Mauriciens votent contre l’Indépendance.

Bien que la période post-indépendance s’est révélée difficile, les dirigeants de l’époque se sont, par la suite, attelés à écrire un tout nouveau chapitre de l’histoire. Cette reconstruction passait d’abord par recoller les morceaux d’une nation fracturée.

La coalition Ptr-PMSD, en 1969, a été un processus important en ce sens. L’historien Jocelyn Chan Low va plus loin dans son analyse. « Il ne faut pas oublier que cette coalition a été souhaitée par la France. Le gouvernement d’alors savait qu’en cédant au souhait de la France, cela garantirait en contre-partie des avantages économiques pour Maurice. »

L’alliance entre les bleus et les rouges a aussi été un bon signal envoyé au secteur privé, fait part l’historien.  Et d'ajouter : « Il fallait regagner la confiance du secteur privé pour pouvoir bien entamer le développement économique. » Ce dernier fait aussi ressortir que 50 ans plus tard, le pari de l’Indépendance a été remporté.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !