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12 mars : Le mauricianisme pas toujours au beau fixe

56 ans après l’indépendance de notre île, le mauricianisme, bien qu’enraciné dans notre tissu social et culturel, reste un sujet de débat. Pour certains, il incarne un idéal malgré les circonstances. Des plateformes variées, telles que la famille, l’école, l’État et les institutions sociales, peuvent offrir des opportunités pour renforcer notre identité nationale et construire une société plus résiliente. Cependant, les divisions persistantes et la perte de valeurs menacent cette vision commune. Voici les témoignages de quelques personnalités qui mènent à la réflexion. 

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Jean Jacques Arjoon, chanteur et enseignant : « Tout est dans nos papilles gustatives »

arjoonLe mauricianisme est enraciné dans le tissu social et culturel de l’île, comme l’illustre le chanteur Jean Jacques Arjoon.

Cette identité se révèle pleinement dans les interactions quotidiennes entre les Mauriciens, en particulier lors des moments de convivialité et de partage pendant les festivités. Cependant, elle peut parfois être ternie par l’intervention politique, rappelant ainsi la fragilité de cette harmonie sociale.

Or, le cœur véritable du mauricianisme se trouve dans nos papilles gustatives, affirme-t-il. Chaque plat de la cuisine mauricienne, qu’il s’agisse de « minn fri » ou de briani, incarne une fusion unique des différentes cultures présentes sur l’île. « Peu importe qui l’a préparé - catholique, chinois, hindou ou musulman -, chaque bouchée célèbre l’identité mauricienne dans toute sa diversité. »

Jean Jacques Arjoon souligne également les emprunts culturels qui enrichissent la gastronomie locale, ce qui témoigne un échange continu entre les différentes communautés. Dans un pays aussi diversifié que Maurice, où les influences culturelles se croisent et se mélangent, la cuisine devient ainsi un véritable symbole de cohésion sociale et de fierté nationale, alimentant sans cesse l’identité collective de l’île.

Il poursuit : « Nous avons mis en place des centres culturels qui présentent Maurice de manière morcelée. C’est-à-dire, chaque communauté se consacre à ses propres activités culturelles, chacune de son côté. » Selon lui, ce qu’il faut vraiment, c’est un centre culturel mauricien. « Cela encouragerait chaque individu à contribuer, que ce soit dans l’art ou dans la musique. Donc, je crois que ce n’est pas dans l’intérêt des politiciens de soutenir un tel projet », dit-il. Ce dernier précise qu’un appel a été lancé depuis des années pour la création d’un tel centre. « Parallèlement, sans événements culturels réguliers, il est difficile de rassembler... »


Saffiyah Chady Edoo, chargée de relations publiques indépendante : « La politique actuelle renforce les divisions »

saffiyah Chady Edoo« Chaque 12 mars, comme à chaque rendez-vous sportif international, le cœur des Mauriciens bat au rythme de leur patrie. Cependant, cette flamme de fierté nationale s’éteint rapidement, laissant un sentiment de désillusion. Nous demeurons encore loin de pouvoir proclamer avec assurance la prédominance du mauricianisme », explique avec une pointe d’amertume Saffiyah Chady Edoo. Selon elle, bien que certains puissent éprouver, de temps en temps, ce sentiment dans leur vie quotidienne, il s’efface rapidement lorsque des événements touchent nos pays ancestraux, ce qui crée, parfois, des divisions sectaires.

Aussi, Saffiyah Chady Edoo souligne un manque important dans la transmission de l’identité mauricienne aux jeunes. Selon elle, la politique actuelle renforce les divisions plutôt que de promouvoir l’unité, ce qui retarde l’émergence d’un véritable mauricianisme, même après 56 ans d’indépendance. 

« L’’île Maurice d’aujourd’hui et de demain doit respecter nos identités tout en promouvant l’établissement d’une identité mauricienne commune. L’un des éléments fondamentaux qui nous unit est le Kreol Morisien. Promouvoir cette langue devrait être un objectif unificateur : encourager son utilisation dans les sphères officielles, y compris au Parlement et promouvoir la littérature créole. Tout cela contribuerait à cultiver une fierté et un sentiment d’appartenance exclusivement mauriciens. »

 


Amit Bakhirta, CEO d’Anneau et économiste : « Le mauricianisme se réveille lorsque les circonstances l’exigent »

BakhirtaL’économiste exprime sa réflexion sur l’état actuel du mauricianisme, décrivant une atmosphère parfois endormie mais néanmoins réactive aux événements majeurs. Selon lui, la stabilité socio-économique et la prospérité du pays témoignent, dans une certaine mesure, de l’existence de cette identité collective. « La solidarité et l’unité du peuple mauricien lors du tragique naufrage du Wakashio ont démontré ainsi que le mauricianisme peut se réveiller lorsque les circonstances l’exigent, ravivant ainsi la fierté nationale », souligne Amit Bakhirta. 

Il insiste aussi sur la nécessité de promouvoir les valeurs républicaines authentiques, en prônant une séparation claire entre la religion et l’État. Il met en garde contre tout écart par rapport à cette valeur fondamentale de la laïcité, soulignant son importance cruciale pour maintenir l’unité nationale.

Par ailleurs, il met en avant le risque de division et insiste sur l’importance de maintenir l’harmonie sociale pour assurer l’unité du pays. Pour y parvenir, il propose une planification économique à long terme qui vise à positionner Maurice comme un acteur majeur sur la scène socio-économique africaine. Selon lui, l’avenir économique de Maurice est étroitement lié à celui du continent, ce qui nécessite une approche stratégique à long terme dans l’élaboration des politiques économiques.


Amarnath Hosany, écrivain : « Certaines valeurs commencent à disparaître »

Amarnath Hosany« À Maurice, de nombreux slogans prônent le mauricianisme, mais concrètement, je ne le vois pas se manifester. Du moins, pas trop… Je sais que parmi la jeune génération, il existe une volonté sincère de vivre cette identité mauricienne. Cependant, j’ai l’impression qu’à la moindre perturbation, certains se replient sur eux-mêmes, ce qui entrave la progression du mauricianisme », l’écrivain Amarnath Hosany. 

Pour lui, nous aurions dû puiser dans notre diversité pour faire éclore cet arc-en-ciel qu’est le mauricianisme. 

« Malheureusement, je constate que cela tarde à se concrétiser. J’aurais aimé voir davantage d’actions et de réactions tangibles. J’aurais souhaité observer chez les jeunes une plus grande créativité dans la musique, la danse, même si certains font déjà beaucoup d’efforts », avance-t-il. Il ajoute qu’à partir de là, il serait possible de définir une stratégie et une politique pour rendre le mauricianisme plus présent dans tous les aspects de la vie. « J’ai le sentiment que chacun fait ce qu’il peut, isolément, sans formation ni orientation. À mon avis, nous nous égarons. C’est pourquoi nous avons du mal à progresser dans la création, surtout pour les jeunes ». 

Pourtant, affirme Amarnath Hosany, nous disposons des plateformes nécessaires. « Nous avons la famille, les voisins, l’école, l’État, l’église et de nombreuses personnes qui œuvrent dans le domaine social. Ainsi, toutes ces plateformes pourraient s’unir pour promouvoir la présence du mauricianisme dans tous les aspects de la vie », explique-t-il. Ce dernier exprime sa déception face à certaines réactions sur les réseaux sociaux. « Il y a trop de commentaires négatifs entre les différentes communautés. Certains refusent de changer d’attitude. Il est nécessaire de se remettre en question avant de critiquer autrui. Cette situation est préoccupante... Malheureusement, certaines valeurs commencent à disparaître dans une société déjà fragile. »

 


Kavinien Karupudayyan, écrivain et éducateur : « Être patriote toute l’année, pas que le 12 mars »

Kavinien KarupudayyanLe mauricianisme, selon Kavinien Karupudayyan, se révèle comme une force vibrante, mais malheureusement rare. « Il ne se manifeste que lors de grandes occasions telles que les Jeux des îles ou dans les moments de crise nationale », dit-il. Pour lui, le mauricianisme devrait être ancré dans notre ADN, devenant ainsi une fibre patriotique qui nous unit bien au-delà des simples publications sur les réseaux sociaux, qui ne semblent émerger qu’aux abords du 
12 mars chaque année.

Il souligne aussi qu’on ne peut prétendre être fervent du mauricianisme tout en continuant de jeter nos déchets par les fenêtres des autobus. « Il faut aimer la terre mauricienne et la préserver, comme le préconisait le poète Cabon », avance-t-il, tout en expliquant qu’il n’est plus l’heure d’avoir honte de notre langue maternelle. 

L’écrivain soutient que sur le plan culturel, il y a urgence de préserver les archives culturelles du pays. Selon lui, il existe un précieux trésor de documents, notamment d’anciens journaux et de livres rares, qui sont constamment menacés à la Bibliothèque nationale au Fong Sing Building à Port-Louis et également au siège des Archives nationales à Coromandel. Il cite un adage populaire : « Un peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans racines. »

Pour finir, il exprime le souhait de voir une plus grande accessibilité à la lecture à travers le pays. « Je propose l’installation de coins lecture avec des livres pour tous les âges dans les centres commerciaux. Ce serait bien aussi si les musées publics se réinventaient en proposant des espaces dédiés à la lecture afin de faciliter l’accès aux livres pour tous. »

 

 

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