Actualités

12 mars 2017 : une République en évolution

En 1992, le pays passe au statut de République. Mais la population ne semble pas s’en être rendue compte, affirment nos interlocuteurs. Et depuis, le monde a changé et il faut aussi changer la République.

Publicité

Demain, cela fera un quart de siècle que Maurice a accédé au statut de République. Le concept de République, ainsi que les valeurs républicaines demeurent abstraits pour plus d’un.

Yvan Martial, historien et observateur politique, déplore le fait que la majeure partie des Mauriciens ne connaissent pas les valeurs et la signification d’une République. Pire encore, le Mauricien moyen ne s’intéresse pas aux valeurs de la République car ses priorités sont ailleurs, « il veut s’acheter une maison, une voiture et se concentre sur l’éducation de ses enfants. » Yvan Martial affirme que la plupart des gens ne se soucient pas du régime en place, «monarchie ou pas». D’ailleurs, il explique que depuis 1992, ce qui ressort des festivités nationales c’est que peu de gens s’y intéressent, il cite l’exemple de la cérémonie officielle et souligne que le nombre de personnes qui font le déplacement vers le lieu où se tient la fête est très minime comparé à la taille de la population. « Nous n’avons même pas évolué dans la façon de fêter l’indépendance, les mêmes défilés, les mêmes protocoles, les gens savent ce qui les attend; les majorettes, la SMF qui se prend pour l’armée et un concert, entre autres », affirme cet interlocuteur.

Revoir la conception

En 25 ans, Ashok Subron, de Rezistans ek Alternativ (ReA) a noté une « dégénérescence » de la République. Il affirme que la politique s’est alliée avec le ‘big business’, l’utilisation des appareils de l’État pour faciliter les affaires des proches. « Cela empire et nous n’allons pas nous en sortir dans le futur », fait ressortir l’activiste gauchiste. Il déplore aussi la « braderie » de nos patrimoines.

« Nous vivons une montée du néo-colonialisme avec l’acquisition des terres sur le littoral  par les expatriés et les grands morcellements mis à la disposition des acheteurs étrangers, sans compter la disparité entre les pauvres et les riches. »

Ashok Subron

La République mauricienne est toujours une entité abstraite chez les gens même après 25 ans, affirment à la fois Yvan Martial et Ashok Subron. Pour les deux hommes, il faudrait inculquer ces valeurs aux Mauriciens. Surtout dans un contexte global qui change et qui apporte de nouveaux défis.

Pour Ashok Subron, ce quart de siècle a été caractérisé par une montée du capitalisme global. «C’est une superstructure qui a usé la souveraineté du pays et influencé l’allégeance du peuple.» Ashok Subron affirme que le pays doit revoir sa conception de la République et installer une République 2.0. Pour cela, il faudra obligatoirement passer par un changement fondamental de la Constitution.

Il affirme que son parti a la solution à travers ses propositions. Ashok Subron affirme que la nouvelle Constitution doit éliminer toute forme de communautarisme que le pays a hérité du processus de l’indépendance. «Il faut introduire la représentativité des idées au lieu des communautés.» Il souligne aussi que la Constitution doit contenir la phrase qui stipule que Maurice est un état séculier. La Constitution doit aussi contenir tous les droits humains et pas seulement les droits politiques et civils. « Le droit de la nature doit aussi faire partie de la Constitution pour faire comprendre que la nature de Maurice est un droit commun », souligne Ashok Subron. Ce dernier fait comprendre que la République 2.0 doit avoir une Constitution qui reconnaît le droit de la femme, la participation de l’employé dans les décisions de l’entreprise qui l’emploie. « Il faut que la Constitution reconnaisse l’esclavage comme un crime contre l’humanité et rend punissable et haïssable toute forme d’esclavage. »

Yvan Martial

À côté de ces changements, Yvan Martial remarque que la classe politique locale s’est plutôt fossilisée. Rien n’a changé en somme, souligne l’historien. Les chefs politiques sont restés les mêmes pendant 25 ans. Il souligne qu’il faut changer les hommes et apporter du sang neuf. «Il faut des politiciens du calibre de Paul Bérenger des années 1970 capable de mobiliser les jeunes. Ces derniers ne s’intéressent pas à la politique car il y a eu une embourgeoisement des collégiens qui demeurent dans leurs zones de confort.» Toutefois, il est d’avis que pendant ces 25 ans, Maurice a eu la chance de connaître des personnes «brillantes» comme président ou vice-président. « Cassam Uteem, Raouf Bundhun, Barlen Vyapoory et encore l’excellent choix du gouvernement en la personne d’Ameenah Gurib-Fakim », souligne Yvan Martial.


La deuxième république du Mouvement Premier Mai

Si la deuxième république portera sans doute pour un long moment la marque de l’échec électoral de l’alliance Parti travailliste-MMM, certains sont allés très loin dans l’idée. C’est notamment le cas du Mouvement Premier Mai, animé par le politique et syndicaliste Jack Bizlall. Ce mouvement a publié, en octobre 2012, un plaidoyer pour une deuxième république, expliquant les nouveaux principes et idées que devraient inclure la Constitution de cette République repensée.

Cette nouvelle Constitution devrait s’articuler autour de cinq axes selon le Mouvement Premier Mai :

  • Redéfinir le citoyen mauricien
  • Redéfinir les libertés et les droits de l’homme
  • Repenser la démocratie
  • Engager la société dans le monde tout en préservant son essence
  • Redéfinir les rapports entre les classes sociales.

Ces axes se traduisent en plusieurs propositions concrètes :

  • Assemblée constituante

Qui pour déterminer les contours de la Constitution d’une deuxième République ? Pas des leaders politiques qui discutent entre eux, selon le Mouvement Premier Mai qui propose la création d’une Assemblée constituante. Cette assemblée, avance le mouvement, doit être élue au suffrage universel, avec cinq représentants par circonscription, y compris Rodrigues. Des juristes et techniciens constitutionnels l’épauleront dans son travail d’élaboration d’une nouvelle Constitution qui devra être approuvée par l’ensemble de la population par voie référendaire.

  • Création d’une deuxième Chambre

Le Mouvement Premier Mai propose un système à deux Chambres plutôt qu’un sénat de notables. Cette deuxième Chambre rassemblerait les  citoyens sur la base des classes sociales et aurait un pouvoir de veto sur les propositions de loi de l’Assemblée nationale.

  • Référendum

Il faut introduire un système référendaire dans la Constitution pour que la population soit plus directement impliquée dans les décisions concernant les libertés et les droits.

  • Réforme électorale : 40 circonscriptions et Party List

Le système électoral proposé par le mouvement se démarque des autres proposés jusqu’à présent. Il comporte 40 circonscriptions de deux députés chacune, avec un total de 80 au First Past The Post. Chaque électeur a l’obligation de voter pour un homme et une femme pour assurer la parité. 20 autres seront élus sur une Party List, notamment à travers un vote des électeurs pour un parti politique. Aucun électeur n’a toutefois l’obligation de voter pour un parti dans ce système proposé. Pour obtenir les sièges additionnels, il faut avoir obtenu 5% des votes. Le Best Loser System n’existerait plus dans un tel cadre.

  • Judiciaire : revoir le rôle du DPP

Le judiciaire doit aussi subir une transformation radicale afin de ne plus être le «rubber stamp» du législatif, selon le Mouvement Premier Mai. L’une des propositions concerne le rôle du Directeur des poursuites publiques (DPP). Une question qui est dans l’actualité depuis plusieurs mois. «En aucun cas, le judiciaire ne doit être dessaisi de son rôle d’appliquer les lois. Dans ce sens, il faut revoir le rôle du Directeur des poursuites publiques (DPP)», estime le mouvement.

Pour assurer l’indépendance du judiciaire, d’autres suggestions sont faites : qu’un juge ne puisse en aucun cas remplacer un Premier ministre ou un président de la République pour ne pas confondre le judiciaire et l’exécutif. Actuellement, quand le Président et le vice-Président sont hors du pays, c’est le Chef juge qui assure la suppléance.

Les arrestations sur base d’allégations sont aussi mises à l’index. Le Mouvement Premier Mair propose qu’il y ait d’abord une plainte formelle et étayée devant une cour de justice.

La liberté du judiciaire est également assurée par sa liberté administrative. La nouvelle Constitution devrait donc garantir l’autogestion du judiciaire qui aurait ainsi son propre mode de fonctionnement et son budget. Tout cela serait soumis à l’approbation de l’Assemblée nationale.

Pourquoi attendre qu’une loi soit contestée pour la déclarer anticonstitutionnelle ? C’est la question que pose le document rédigé par le Mouvement Premier Mai qui suggère que le judiciaire étudie chaque loi votée et la retourne à l’Assemblée nationale avec son point de vue.

Aucune loi ne doit imposer des sanctions minimales et doit établir «un guide de sanctions» concernant son fonctionnement interne et éviter les disparités trop importantes pour les crimes et fautes similaires.


Jean-Claude de l’Estrac : «L’expression d’une maturation politique a fait passer la nation d’un statut de monarchie constitutionnelle à celui d’État pleinement souverain»

Quels ont  été les avantages d’être devenu une République pour le pays ?
Ce n’est pas une question d’avantage ! Pour une nation, l’accession au statut de République est l’affirmation de sa volonté de promouvoir les valeurs qui caractérisent l’Etat  républicain. La première de ces valeurs, c’est la reconnaissance de la souveraineté du peuple, c’est le choix de la démocratie comme système  de gouvernement, c’est l’attachement à la liberté, à l’égalité.

Dans le cas mauricien,  c’était aussi l’expression d’une maturation politique qui a fait passer la nation d’un statut de monarchie constitutionnelle, la première étape postindépendance, à celui d’État pleinement souverain. Il faut reconnaître toutefois que le mot république est galvaudé, il y a beaucoup de « Républiques » qui ne le sont pas vraiment.

La République de Maurice est le résultat d’une alliance électorale entre le Mouvement militant mauricien et le Mouvement socialiste militant. Les intérêts politiques immédiats de l’époque ont-ils interférés dans la forme de République à laquelle nous avons eu droit ?
Il ne faut pas toujours tout ramener à la politicaille. La volonté de ces deux partis politiques de faire du pays une République s’est inscrite dans un long processus de décolonisation. Dans les années 70 et 80, le sujet a fait l’objet de débats intenses sur la nécessité de décoloniser les esprits. Sur la question de la forme, un large consensus s’était dégagé en faveur du système westministerien de gouvernement qui fait du Premier ministre le centre du pouvoir et de la Présidence le garant de la Constitution et  des valeurs que la République entend honorer.

Le président de la République jouit de nombreux privilèges, coûte une certaine somme à l’État. Pourquoi les partenaires en alliance à l’époque n’ont pas donné plus de pouvoirs à l’occupant de ce poste constitutionnel qui projette l’image de vase à fleurs avec peu d’influence sur les affaires du pays ?
Ah bon ?  Quels sont ces privilèges trop nombreux à vos yeux ? Quoi, ce maigre budget de la Présidence serait-il en train d’appauvrir les Mauriciens ? Est-ce ainsi qu’on apprend aux citoyens de respecter les institutions ? Je suis désolé, je trouve de tels propos déplorables.

Je vous l’ai dit, nous avons choisi un modèle de Présidence, c’est celui de la république parlementaire. Un très grand nombre de pays dans le monde, une cinquantaine, ont adopté le même système, l’Inde, Singapour, le Pakistan, la Tunisie, la Pologne, l’Autriche. ..

Est-il temps de repenser la République après 25 ans et donner plus de pouvoirs au Président ?
Là nous sommes dans un vrai débat ! Mais le problème est mal posé. La question n’est pas tant qu’il faudrait plus de pouvoirs au Président, mais plutôt d’équilibrer ceux du Premier ministre. Dans notre système, un seul homme possède tous les pouvoirs, c’est le Premier ministre. C’est terriblement malsain et laisse la porte ouverte à toutes les dérives. Nous l’avons vu.  L’idée d’un rééquilibrage des pouvoirs entre les deux têtes du pays, le chef d’Etat et le chef de gouvernement est juste. Malheureusement elle a été torpillée, lors des dernières élections législatives, parce que les électeurs n’ont vu que l’arrangement politicien entre deux alliés.  Et on a jeté le bébé avec l’eau du bain…

Outre cet équilibrage des pouvoirs, quelles avenues pourrait-on explorer pour moderniser notre concept de République ?
Je ne sens pas tant un besoin de modernisation qu’une exigence  de ré-crédibilisation. Le pays possède déjà un large éventail d’institutions, il faudrait seulement qu’elles puissent fonctionner en toute indépendance, sans ingérence politique, et animées par les meilleures compétences, d’ici ou d’ailleurs. On est loin du compte, voilà l’urgence pour la République!

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !